— Il y a 200 ans, s’est déroulé la Grande Guerre. Elle n’a duré que cinq courtes années mais elle a été d’une rare violence. Avant elle, on retrouve dans les archives d’autres guerres qui ont marqué notre histoire. Chacune d’entre elles est séparée par une période d’environ 200 ans. Ces dates sont tachées de sang et peu de personnes aiment les étudier. Pourtant leur répétition a été notée depuis longtemps. La Grande Guerre avait été prédite et nos armées préparées pour y faire face. Toutefois, la victoire a été dure et peu aurait fallu pour que nous perdions nos terres. Les morts ont été dénombrés par dizaines de milliers et certaines régions ont mis des années à surmonter la morsure des flammes qui les avaient assiégées.
Alana écoutait sérieusement, surprise que le roi lui relate un tel sujet. Elle ne voyait pas bien ce que le passé pouvait apprendre au présent ; ce que la guerre venait influer sur son propre chemin. Elle se montrait néanmoins attentive et gravait dans son esprit les informations.
— Nous avons fêté il y a six ans, continuait Ivac III, le 200ème anniversaire de la fin de la guerre, et aucun trouble ne nous menaçait. Nous en avons donc conclu que seul le hasard avait espacé d’une manière régulière les périodes de troubles qui ont secoué notre monde. Mais depuis quelques temps, des murmures s’élèvent de nos frontières. On rapporte des disparitions, les cultures sont asséchées et les récoltes pourrissent sur place. Certains villageois racontent qu’ils ont vu des créatures de l’Errance.
— Les gens sont facilement crédules, ne put s’empêcher de railler Alana à l’idée que des adultes puissent encore croire à ce genre d’histoires.
— Détrompez-vous, jeune fille, il y a bien plus de sagesse et de vérité dans les contes que vous ne l’imaginez.
Il poursuivit sans éclaircir ses propos. Alana, perplexe et peu convaincue, se retint de lui demander ce qu’il voulait dire.
— Ces menaces ne sont pas encore importantes mais nous craignons qu’elles ne s’amplifient et qu’elles sonnent l’arrivée d’une nouvelle aire de violence. De nombreux clans oubliés vivent au-delà de notre royaume et leur rassemblement serait épouvantable. Autant vous le dire ainsi, nous ne sommes pas encore prêt à affronter une armée extérieure. Nous avons absolument besoin du soutien des elfes si un nouveau fléau venait secouer nos terres.
Ivac III fit une pause mais Alana garda le silence.
— Envoyer Thyone Dhyle avec vous est une nécessité. Le royaume des Elfes est le plus beau au monde mais tout y est réglementé. Allumez un feu en forêt sans une intense surveillance et vous serez banni. Il sera traiter avec eux au contraire de vous. Les elfes vivent plus longtemps que nous et ils se sentent par cela plus sages. Et ils le sont. Mais vous verrez que la vision idéalisée de ce peuple n’est pas la pure vérité. Sachez qu’il y a pire qu’une bagarre dans une taverne. Les deux coupables règlent leur affaire et oublient. Il y a pire qu’une dispute entre un mari et sa femme à propos d’une maitresse. Les deux se crient dessus, font beaucoup de bruit, puis se mettent d’accord et oublient. Il y a pire que la violence en face, il y a la violence derrière. Celle qu’on ne voit pas, qu’on soupçonne à peine, qui nourrit les cœurs encore et encore de ne pas pouvoir être assouvie pleinement. Celle-ci, on ne l’oublie pas. Elle grandit au cours du temps. C’est elle que vous aurez à craindre là-bas. Bien sûr, vous ne comprendrez pas tout de suite mes paroles car les elfes sont le peuple le plus délicieux qui m’est eu permis de connaître et aucun acte violent ne sera jamais commis devant vous. Mais le savoir ne peut pas faire de mal.
— Votre fils m’en avait fait la remarque, prononça Alana avec une étrange expression.
Le roi haussa un sourcil, surpris.
— Ne croyez pas que je remette votre parole en cause, continua-t-elle, mais tout cela est assez… dur à assimiler. Vous m’annoncez qu’une guerre risque d’éclater alors que tout est calme dehors. Vous suggérez que les créatures de l’Errance existent et qu’elles veulent peut-être récupérer nos terres. Vous me dîtes ensuite que les Elfes, qu’on m’a toujours décrits comme les êtres les plus merveilleux au monde, ne valent pas mieux que nous.
— Je comprends.
— Pourquoi avez-vous laissé le hasard me choisir ? Ne le regrettez-vous pas, majesté ? finit-elle par demander.
Ivac III prit son temps pour répondre. La pièce silencieuse paraissait soudain oppressante et l’air qu’Alana respirait embrasait ses poumons à chaque inspiration.
— Oui, je regrette d’envoyer une jeune fille si peu expérimentée, assurer un voyage qui pourrait être déterminant.
Alana eut l’impression de recevoir un coup de poing dans la poitrine. Elle savait depuis le départ qu’elle était un imposteur mais l’entendre, conférait un aspect définitif à cette vérité. Elle se promit, avec une pointe d’orgueil, de parvenir à tous les surprendre.
— Pourquoi l’avez-vous fait ? demanda-t-elle encore.
— À moment exceptionnel, décision exceptionnelle, prononça-t-il, évasif.
Ivac III se leva sans plus d’explication pour s’emparer d’un document qui devait être posé sur un bureau, caché derrière le trône. Il s’approcha d’Alana et le lui tendit. Elle s’en empara.
— Vous devrez remettre ceci à la reine des Elfes. J’avais prévu de le confier à Thyone comme la majorité des affaires à traiter mais puisque vous faites partie du voyage par ma faute, autant que vous ayez un rôle à tenir.
Alana hocha la tête. Elle était curieusement fière qu’on lui confie cette mission. Elle jeta un nouveau coup d’œil à la feuille soigneusement pliée qu’elle tenait dans sa main. Elle était fermée par le seau royal. Elle releva la tête, le regard décidé.
— Vous pouvez vous retirer, déclara soudain le roi en s’asseyant sur son trône.
Cela lui fit l’effet d’un seau d’eau froide qu’on lui aurait déversé sur la tête.
— Que dois-je emporter avec moi ? fit-elle pourtant d’une voix inchangée.
Ivac III dû repenser à la première vision qu’il avait eu d’elle sur l’estrade de Syrma car une grimace étira ses lèvres.
— Tout a été prévu, vous n’avez besoin de rien. Vous pouvez retourner dans vos appartements. Soyez simplement à l’heure du départ demain matin, je déteste les retards.
Et le roi la congédia, sans plus s’attarder sur elle.
[Cette suite a été modifiée en grande partie pour des raisons de remodèlement. Pour ceux qui l'avaient déjà lu, je vous invite à la relire dès maintenant car la nouvelle version introduit un nouveau élément et elle colle mieux au caractère d'Alana. Merci ! ]